3 Avril - Miya-jima (Hiroshima)

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Mercredi. Levé tôt pour aller sur l’île de Miya-jima (ou Itsukushima), super célèbre dans le monde entier (en vrai, je l’ai découverte sur Wikipedia il y a quelques jours). Il y a de chouettes balades à faire semble-t-il. Cependant, mon plan foire: il pleut à seau. Et d’après la météo, c’est prévu pour toute la journée. Depuis le début, on a eu un temps super agréable, avec seulement une petite pluie le jeudi précédent. Et la, crack, la seule journée dédiée à de la balade en dehors de la ville, il faut que ça déluge. Que cela ne tienne, je m’arme de mon parapluie et c’est parti.

Ça commence par une petite heure de train, suivie de 20 min de ferry. Lorsqu’on aborde l’île, on voit se dessiner le fameux Torri rouge (similaire à ceux de Kyoto), les pieds dans l’eau à l’entrée de la plage, c’est tout brumeux, fumeux et les montagnes se dessinent en fond, c’est vraiment sympa. C’est the-place-to-be du coin, il y a des centaines de touristes. Les ferrys sont pleins et, à l’arrivée, on comprend qu’ils ont l’habitude de voir et gérer la foule. Le village est superbe, très fleuri, d’un côté la mer (la baie d’Hiroshima), de l’autre les montagnes vertes et fumeuses. Il y a plusieurs temples/sanctuaires en bois, l’un bien rouge, les pieds dans l’eau (c’est marré basse), l’autre en surplomb, sous les arbres, d’un bois sombre. Il y a des cerisiers fleuris et des biches qui se baladent un peu partout snobant totalement les touristes qui les photographient.

Je rentre dans un grand temple, chaussures enlevées bien entendu, qui a plusieurs avantages dont le premier est de parfaitement abriter de la pluie. On domine un peu la baie, il y a de belles poutres sombres et le sol est tout en bois massif. Des peintures sont en hauteur, ainsi que des cuillères géantes adossées à un mur, j’imagine la tête du Miso associé, une piscine ! Un gars dans une cabine, type moine, dessine à la demande de chouette estampes (?) au pinceau noir sur des carnets que certains lui emmènent. Le voir faire à un côté hypnotique, il n’y a aucune parole échangée, il est très précautionneux dans ces gestes, pose les carnets bien alignés devant lui, utilise son pinceau avec précision. L’encre semble sécher instantanément, son poignet s’appuie légèrement sur la feuille, sans laisser de trace. Il conclut sa calligraphie par un tampon rouge sang au centre, suivit d’un échange de têtes inclinées. Visiblement les carnets, faits de feuilles en accordéon sont une façon de se souvenir des passages dans les sanctuaires, plusieurs pages sont couvertes de ces dessins.

J’avais imaginé monter sur le mont Misen au centre de l’île, ça semble une chouette balade. Les plans indiquent environ 1h30 de marche, avec un beau dénivelé (point culminant à 535m) et la perspective d’avoir une chouette vue quand il fait beau. Cependant, là, présentement, il pleut à seau. Protégé par le toit du temple, je vois dégouliner toute l’eau du ciel devant mes pieds. Je patiente en attendant que la pluie diminue, pendant … disons, 25 secondes (vous me connaissez), puis je me dis, aller, tu es un Samouraï mon gars ! (Après avoir été un viking pour ceux qui suivent). Je prend mon courage à une main, mon parapluie dans l’autre et je pars sur les sentiers.

Au début, il y a encore un peu de touristes à parapluies blancs (partout les mêmes, prêtés probablement par l’hôtel ou le tour opérateur du coin). Il y a une première série de marches vers un chouette temple, en bordure de forêt, avec de beaux cerisiers fleuris et un ruisseau adjacent. En haut, il y a un gong. Une corde permet de propulser le marteau horizontal sur le disque en bronze en émettant un « gong » raisonnant. C’est peut-être pour ça qu’on les nomme ainsi. Ca devient bucolique. Je poursuis sur le sentier qui longe la rivière et en quelques minutes me retrouve absolument seul. Le chemin s’enfonce dans la forêt, puis grimpe avec des séries de marches en pierres. Je ne suis bien sur absolument pas équipé, à part mon parapluie, et me retrouve bien vite humide avec les chaussures trempées. Cela dit, c’est super chouette ; après une dizaine de jours à enchaîner les métros, les marches en ville et côtoyer la foule, ça fait un bien fou. L’environnement est magnifique, des arbres fleuris ça et là, des pierres taillées, des chemins boueux. C’est calme, on entend les gouttes, quelques cris d’oiseaux et de temps en temps un coup de gong. Il y a de la brume partout, on n’y voit pas très loin. Je passe une sorte de cascade et continue l’ascension. Arrivé peut être au 3/4 du trajet, j’ai une illumination. Je pause sous l’arche d’une porte d’un sanctuaire et sort la protection du dessous mon sac à dos. Et oui, il y a un petit compartiment avec une sorte de bâche kway qui permet de recouvrir le sac sans qu’il ne prenne l’eau. Bon là, il est déjà trempe comme une soupe, mais je l’enferme quand même, juste pour faire mine que j’y ai pensé. Le sac, c’est un décathlon bien sûr, what else?

Enfin au sommet, je visite un temple avec des sculptures en bois rigolotes, des gros nez et des têtes grimaçantes. Là aussi, il y a pas âme qui vive. Je respecte cependant la coutume et ôte mes chaussures avant. Un brin plus loin, il y a la fameux observatoire, un petit bâtiment en bois avec deux ou trois niveaux pour permettre une vue à 360. D’en haut, la vue est … magnifique? En fait, on n’y voit pas à 3 mètres, tout est brumeux et imbibé d’eau. La pluie ne s’arrête pas une seconde depuis ce matin. En écarquillant bien les yeux, on distingue quand même un peu la baie tout en bas. Par temps clair, ça doit vraiment être incroyable. Cela dit, vu le monde qu’il y avait en bas, si je devait choisir entre la vue et la foule, je garde ma balade d’aujourd’hui. Je descend en bas de l’observatoire et, subitement j’entends des voix ! Je descend au niveau inférieur, tout en bas et me retrouve dans un petit réduit, avec 3 gars et une dame Japonaise. Les 3 sont des jeunes indiens en balade, on discute un moment entre Samouraïs, se congratulant mutuellement de notre courage respectif. Les seuls braves à avoir bravé le dénivelé et les intempéries. Ils s’échappent ensuite et je me retrouve avec la gardienne. Improbable: prévenante, elle a apporté un chauffage soufflant mobile qu’elle propose pour sécher nos habits, ce que j’accepte avec plaisir tant je suis trempé. Elle sort alors un petit appareil avec une cordelette que j’ai déjà vu quelque fois chez les commerçants, c’est un traducteur. Un bouton maintenu pour parler, et hop, une fois relâché le texte s’affiche et une voix synthétique traduit le Japonais en anglais. Ce n’est pas parfait mais c’est quand même incroyable comme cela rend la communication réalisable. La gardienne s’avère en fait une bénévole, on échange nos sentiments sur le lieu, magnifique bien sûr. Elle me demande de prendre une petite bande de papier et d’y apposer un tampon rouge commémoratif, ce que je m’empresse de faire. Le dessin évoque des formes humaines de profil et elle m’explique qu’il s’agit de la ligne d’horizon visible depuis le bateau. Elle va recevoir de la visite d’un Européen demain et se demande avec anxiété que lui faire visiter. Ensuite elle me bombarde de questions sur moi, ce que je visite, etc. Je raconte mon périple Osaka, Hiroshima mais elle veut en savoir plus sur mon métier, ce que je fais. Je m’apprête alors à lui expliquer que je fais de la physique nucléaire, à l’émerveiller de la mystérieuse orfèvrerie de la décroissance radioactive qu’a créée la nature ou encore comment les rayonnements ionisants constituent un bienfait pour l’humanité, lorsque je me rend compte, qu’Hiroshima n’est peut être pas l’endroit le plus adapté pour vanter les mérites des processus atomiques. Je bredouille donc quelque chose sur la recherche, la médecine et le cancer et, très enthousiaste, elle repart derechef sur d’autres questions. « Je suis une roturière » me dit elle. Puis, elle m’explique avoir été nurse d’une famille Honjo dont le fils a été prix Nobel. Renseignement prix, je pense qu’il s’agit de Tasuku Honjo, immunologiste. Elle s’anime encore, est émotionnée, et on reste un bon moment à « discuter » par l’intermédiaire du petit appareil, qui trébuche régulièrement sur des mots car elle le manipule souvent trop vite, mais nous permet tout de même l’essentiel. Après ce moment un peu irréel, je reprend mon sac, le parapluie et attaque la descente, la pluie n’a pas cessé une seconde.

 
 

 

(Note: toutes les photos sont visibles sur ce lien...)

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